35
Wallander posa la photo de Louise Fredman à l’envers sur le bureau.
Elisabeth Carlén suivait ses mouvements du regard. Elle portait une robe d’été blanche qui paraissait très coûteuse. Ils étaient dans le bureau de Sjösten, Wallander assis au bureau, Sjösten au fond, s’appuyant contre le chambranle de la porte, Elisabeth Carlén dans le fauteuil. Il était midi dix. La chaleur estivale pénétrait par la fenêtre ouverte. Wallander sentit qu’il transpirait.
— Je vais te montrer une photo, dit-il. Et il faudra que tu répondes à une simple question : si tu reconnais ou non la personne.
— Pourquoi les policiers ont-ils toujours besoin de faire de telles mises en scène ? demanda-t-elle.
Son air d’impassible supériorité irrita profondément Wallander. Mais il garda son calme.
— Nous essayons d’attraper un type qui a tué quatre personnes, dit Wallander. Et qui en plus leur découpe le cuir chevelu. Leur verse de l’acide dans les yeux. Et qui leur met la tête dans un four.
— Un fou comme ça ne doit évidemment pas rester en liberté, répondit-elle avec calme. Alors, on regarde la photo ?
Wallander glissa la photo vers elle et hocha la tête. Elle la retourna et se pencha en avant. Louise Fredman avait un grand sourire. Wallander regarda le visage d’Elisabeth Carlén. Elle prit le portrait et sembla réfléchir. Il se passa près d’une minute. Puis elle secoua la tête négativement.
— Non… Je ne l’ai jamais vue. En tout cas, pas que je me souvienne.
— C’est très important, dit Wallander, sentant venir la déception.
— J’ai une bonne mémoire des visages. Mais je suis sûre de moi. Je ne l’ai jamais vue. Qui est-ce ?
— Pour le moment, ça n’a pas d’importance. Réfléchis.
— Où voudrais-tu que je l’ai vue ? Chez Åke Liljegren ?
— Oui.
— Elle peut toujours être passée là-bas une fois où je n’y étais pas.
— C’est arrivé souvent que tu n’y sois pas ?
— Pas ces dernières années.
— Ça fait combien d’années ?
— À peu près quatre.
— Mais elle aurait pu y être ?
— Certains hommes aiment bien les jeunes filles. Les vrais vicelards.
— Quels vicelards ?
— Ceux qui ne rêvent que d’une chose. De coucher avec leur propre fille.
Wallander sentit qu’il s’énervait à nouveau. Ce qu’elle disait était vrai. Mais son impassibilité l’énervait. Elle participait à tout ce commerce qui attirait de plus en plus d’enfants innocents et détruisait leur vie.
— Si tu ne peux pas me dire si elle a participé à une des fêtes de Liljegren, qui peut me répondre ?
— Quelqu’un d’autre.
— Réponds-moi clairement. Qui ? Je veux son nom et son adresse.
— Tout ça se passait de manière très anonyme. C’était une des conditions sine qua non. On reconnaissait des gens par-ci par-là dans ces fêtes. Mais on n’échangeait pas de cartes de visite.
— D’où venaient les filles ?
— D’un peu partout. Du Danemark, de Stockholm, de Belgique, de Russie.
— Elles venaient, puis elles disparaissaient.
— C’est à peu près ça.
— Mais toi, tu habites à Helsingborg ?
— J’étais la seule à habiter ici.
Avant de poursuivre, Wallander jeta un regard vers Sjösten, comme pour confirmer que la conversation n’avait pas complètement dévié de son but.
— La fille sur la photo s’appelle Louise Fredman. Est-ce que ce nom te dit quelque chose ?
Elle fronça les sourcils.
— Il ne s’appelait pas comme ça ? Celui qui a été tué ? Fredman ?
Wallander hocha la tête. Elle regarda la photographie à nouveau. Elle parut un instant émue du lien entre la photo et Fredman.
— C’est sa fille ?
— Oui.
Elle fit à nouveau non de la tête.
— Je ne l’ai jamais vue.
Wallander savait qu’elle disait la vérité. Peut-être uniquement parce que mentir ne lui apporterait rien. Il reprit la photo et la retourna, comme s’il voulait épargner une plus longue présence à Louise Fredman.
— As-tu déjà été chez un homme nommé Gustaf Wetterstedt ? demanda-t-il À Ystad ?
— Qu’est-ce que j’y aurais fait ?
— Ce dont tu vis en général. Est-ce qu’il était ton client ?
— Non.
— C’est sûr ?
— Oui.
— Tout à fait sûr ?
— Oui.
— As-tu déjà été chez un marchand d’art qui s’appelait Ame Carlman ?
— Non.
Wallander eut soudain une idée. Peut-être que, là aussi, on ne donnait jamais de nom.
— Je vais te montrer d’autres photos dans un instant.
Il emmena Sjösten hors du bureau.
— Qu’est-ce que tu en penses ? demanda-t-il.
Sjösten haussa les épaules.
— Elle ne ment pas.
— Il nous faut des photos de Wetterstedt et de Carlman, dit Wallander. De Fredman aussi. Tu les trouveras dans le dossier.
— Il est chez Birgersson, dit Sjösten. Je vais le chercher.
Wallander revint dans le bureau et lui demanda si elle voulait un café.
— Je préférerais un gin tonic.
— Le bar n’est pas encore ouvert.
Elle sourit. La réponse lui avait plu. Wallander retourna dans le couloir. Elisabeth Carlén était très belle. On devinait ses formes à travers sa robe d’été légère. Il pensa à Baiba qui devait fulminer de ne pas recevoir son coup de téléphone. Sjösten revint, une chemise plastique à la main. Ils entrèrent dans le bureau. Elisabeth Carlén fumait une cigarette. Wallander lui posa une photographie de Wetterstedt devant les yeux.
— Je le reconnais. Je l’ai vu à la télé. Ce n’est pas lui qui fricotait avec des putes à Stockholm ?
— Peut-être qu’il a continué.
— Pas avec moi, répondit-elle, toujours aussi impassible.
— Mais tu n’as jamais été chez lui à Ystad ?
— Jamais.
— Connais-tu quelqu’un qui y serait allé ?
— Non.
Wallander prit une autre photo. Celle de Carlman. Il posait à côté d’une œuvre d’art abstrait. Wetterstedt était sérieux sur sa photo, Carlman souriait de toutes ses dents. Cette fois, elle ne secoua pas la tête.
— Celui-là, je l’ai vu, dit-elle avec conviction.
— Chez Liljegren ?
— Oui.
— C’était quand ?
Wallander vit que Sjösten avait sorti un carnet de sa poche. Elisabeth Carlén réfléchissait. Wallander regardait discrètement son corps.
— Il y a à peu près un an.
— Tu en es sûre ?
— Oui.
Wallander hocha la tête. Quelque chose bouillonnait en lui. Encore un. Il ne restait plus qu’à trouver la bonne case pour Fredman.
Il lui montra Björn Fredman. Une photo prise en prison. Fredman jouait de la guitare. La photo devait être vieille. Il avait les cheveux longs, des pantalons pattes d’éléphant, et les couleurs étaient passées.
Elle secoua encore une fois la tête négativement. Elle ne l’avait jamais vu.
— C’est tout ce que je voulais savoir pour le moment, dit-il. Maintenant, je laisse ma place à Sjösten.
Wallander remplaça Sjösten à la porte du bureau. Il reprit aussi le carnet.
— Comment peut-on mener une vie comme la tienne ? commença Sjösten de manière surprenante.
Il posait cette question avec un large sourire. Il avait un air très aimable. Elisabeth Carlén ne se départit pas une seconde de son rôle.
— Qu’est-ce que ça peut te faire ?
— Rien. Simple curiosité. Comment fais-tu pour supporter de te voir dans la glace tous les matins ?
— Et toi, quand tu te vois dans la glace, tu penses quoi ?
— Qu’en tout cas je ne m’allonge pas pour n’importe qui pour quelques couronnes. Tu prends la carte bleue ?
— Va te faire foutre.
Elle fit mine de se lever et de sortir. La manière dont Sjösten l’agressait énervait déjà Wallander depuis un moment. Elle pouvait encore lui être d’une grande utilité.
— Je te présente mes excuses, dit Sjösten, d’un ton toujours aussi aimable et convaincant. Laissons là ta vie privée. Hans Logård. Est-ce que ce nom te dit quelque chose ?
Elle le regarda sans répondre. Puis elle se tourna vers Wallander.
— Je t’ai posé une question, reprit Sjösten.
Wallander avait compris son regard. Elle ne répondrait qu’à lui. Il sortit dans le couloir et fit signe à Sjösten de le rejoindre. Il lui expliqua qu’il avait cassé la relation de confiance avec Elisabeth Carlén.
— Alors on la met en garde à vue, dit Sjösten. Je ne vais pas me laisser, impressionner par une pute.
— La mettre en garde à vue pour quelle raison ? dit Wallander. Attends-moi ici, je vais écouter sa réponse. Calme-toi, bordel !
Sjösten haussa les épaules. Wallander retourna dans le bureau.
Il s’assit au bureau.
— Hans Logård voyait souvent Liljegren, dit-elle.
— Tu sais où il habite ?
— Quelque part dans la campagne.
— Qu’est-ce que tu veux dire par là ?
— Qu’il n’habite pas en ville.
— Mais tu ne sais pas où ?
— Non.
— Que fait-il comme travail ?
— Je ne sais pas non plus.
— Mais il participait aux fêtes.
— Oui.
— Comme invité ou comme hôte ?
— Comme hôte. Et comme invité.
— Tu ne sais pas où on pourrait le joindre ?
— Non.
Wallander avait l’impression qu’elle disait la vérité. Ce n’était pas par son intermédiaire qu’ils retrouveraient Logård.
— Quels rapports avaient-ils entre eux ? Liljegren et Logård.
— Hans Logård avait toujours plein d’argent. Je ne sais pas ce qu’il faisait pour Liljegren, mais en tout cas il était bien payé.
Elle écrasa sa cigarette. Wallander eut le sentiment que c’était elle qui lui accordait une audience et non lui qui l’avait convoquée.
— J’y vais maintenant, dit-elle en se levant.
— Je t’accompagne, dit Wallander.
Sjösten allait et venait dans le couloir. Lorsqu’ils passèrent devant lui, elle le fusilla du regard. Wallander la suivit des yeux alors qu’elle rejoignait sa voiture, une Nissan avec un toit ouvrant. Quand elle fut partie, Wallander attendit un instant devant le commissariat pour vérifier que quelqu’un la filait. Elle était toujours sous surveillance. La chaîne n’était pas encore rompue. Wallander retourna dans son bureau.
— Pourquoi l’as-tu agressée comme ça ?
— Elle représente tout ce que je déteste, répondit Sjösten. Pas toi ?
— Nous avons besoin d’elle, dit Wallander d’un ton fuyant. Nous aurons le temps de la détester plus tard.
Ils allèrent prendre un café et résumèrent la situation. Sjösten fit venir Birgersson.
— Le problème, c’est Björn Fredman, dit Wallander. Il ne cadre pas. Mais nous avons un certain nombre d’éléments qui semblent avoir un rapport. Un certain nombre de liens assez fragiles.
— Peut-être que ça correspond à la réalité, dit Sjösten d’un ton pensif.
Wallander dressa l’oreille. Sjösten pensait à quelque chose. Il attendit la suite. Mais rien ne vint.
— À quoi penses-tu ? dit-il.
Sjösten continua de regarder par la fenêtre.
— Et pourquoi les choses ne se présenteraient-elles pas comme ça ? Que Björn Fredman ne colle pas avec les autres. On peut partir de la certitude qu’il a été tué par le même homme que les autres. Mais pour une tout autre raison.
— Ça paraît absurde, dit Birgersson.
— Qu’est-ce qui n’est pas absurde dans toute cette histoire ? poursuivit Sjösten. Rien.
— En d’autres termes, il faudrait chercher deux mobiles différents, dit Wallander. C’est ça ?
— C’est à peu près ça. Mais je peux me tromper complètement, bien sûr. C’est juste une idée qui m’est passée par la tête. Rien de plus.
Wallander hocha la tête.
— Il se peut que tu aies raison. Nous ne pouvons pas exclure cette hypothèse.
— Il y aurait des fausses pistes, dit Birgersson. Des pistes qui ne mènent nulle part, dans une impasse. Ça ne me paraît pas plausible.
— Ne laissons pas complètement tomber cette possibilité. Il ne faut jamais rien laisser de côté. Mais maintenant, il faut trouver cet homme, Hans Logård. C’est ça, le plus important.
— La maison d’Åke Liljegren est très étrange, dit Sjösten. Il n’y a pas un seul papier. Pas un carnet d’adresses. Rien. On l’a trouvé tôt le matin et, depuis, toute la maison est restée sous surveillance, donc personne n’a pu faire le ménage.
— C’est donc nous qui n’avons pas suffisamment bien cherché, dit Wallander. Sans Hans Logård, nous n’arriverons pas plus loin.
Sjösten et Wallander allèrent prendre un déjeuner rapide dans un restaurant proche du commissariat. Vers quatorze heures, ils s’arrêtèrent devant la villa de Liljegren. Les barrières étaient toujours là. Un policier leur ouvrit les grilles. Le soleil filtrait à travers les feuilles des arbres. Tout paraissait totalement irréel. Les monstres appartenaient à l’obscurité et au froid. Pas à un été comme celui qu’ils avaient cette année. Wallander se rappela une réflexion de Rydberg, une plaisanterie qui se voulait ironique. Les tueurs fous se chassent plutôt en automne. L’été, on préfère avoir affaire à un bon vieux perceur de coffre-fort. Cette pensée le fit sourire. Sjösten le regarda d’un air interrogateur. Mais il ne dit rien. Ils entrèrent dans la grande villa. Les techniciens de la police avaient fini leur travail. Wallander jeta à contrecœur un coup d’œil dans la cuisine. La porte du four était fermée. Il songea à l’idée qu’avait eue Sjösten. Björn Fredman ne cadrant pas avec les autres, ce qui du coup lui donnait peut-être sa vraie place. Un tueur qui aurait deux mobiles ? De tels oiseaux existaient-ils ? Il décrocha le téléphone qui était sur une table. Ils n’avaient pas encore coupé la ligne. Il appela Ystad et demanda Ekholm. En attendant qu’on aille le chercher, Wallander regarda Sjösten faire le tour des grandes pièces du rez-de-chaussée, et tirer les rideaux. La lueur du soleil devint d’un seul coup éblouissante. Wallander sentait l’odeur persistante des produits chimiques qu’utilisaient les criminologues. Ekholm répondit. Wallander lui posa d’emblée sa question. Elle était plutôt destinée à ses ordinateurs. Un critère de recherche un peu différent. Des tueurs en série qui mêleraient plusieurs mobiles dans la même série de meurtres. Connaissait-on des cas de ce genre ? Est-ce que les spécialistes mondiaux avaient une opinion là-dessus ? Comme d’habitude, Ekholm trouva cela intéressant. Wallander commençait à se demander si Ekholm était vraiment sincère, à accueillir toutes ses réflexions avec le même enthousiasme. Ça lui rappelait tout ce qu’on disait de l’incompétence de la sûreté suédoise. On faisait de plus en plus souvent appel à divers spécialistes. Sans raisons bien précises.
En même temps, Wallander ne voulait pas être injuste avec Ekholm. Pendant son séjour à Ystad, il s’était montré un bon auditeur. Il avait compris que les policiers devaient savoir écouter, au moins aussi bien qu’ils étaient censés maîtriser l’art délicat de poser des questions. Les policiers devaient toujours écouter. Les sous-entendus, ou les motivations cachées, qui n’étaient pas forcément évidentes au premier abord. Ils devaient aussi tendre l’oreille pour capter les signes invisibles de la présence des meurtriers. Comme dans cette maison. Après un crime, il subsistait toujours quelque chose qui échappait à l’analyse des techniciens. Un policier expérimenté devait pouvoir tendre l’oreille et arriver à le percevoir. Wallander raccrocha et retrouva Sjösten qui s’était installé à un bureau. Ils ne parlèrent ni l’un ni l’autre. La villa invitait au silence. L’âme de Liljegren, si tant est qu’il en eût une, voletait de façon inquiète tout autour d’eux. Wallander monta au premier, ouvrit les portes de toutes les chambres les unes après les autres. Pas le moindre papier nulle part. La maison de Liljegren se caractérisait par son vide. Wallander repensa à ce qui avait rendu Liljegren célèbre. Les sociétés de liquidation, les sociétés de pompage d’entreprises. Il avait parcouru le monde et avait caché son argent. Avait-il fait de même avec sa vie ? Il possédait des maisons partout. Cette villa n’était qu’une de ses nombreuses cachettes. Wallander s’arrêta devant une porte qui menait au grenier. Enfant, il s’était fait une cachette dans le grenier de la maison qu’il habitait à l’époque. Il ouvrit la porte. L’escalier était étroit et raide. Il tourna le vieil interrupteur. Le grenier avec ses poutres apparentes était presque vide. À l’exception de quelques paires de skis, deux vieilles malles, quelques meubles. Wallander sentit la même odeur qu’en bas. Les techniciens étaient passés par là aussi. Il embrassa, la pièce du regard.
Pas de porte dérobée, pas de recoin secret. Il faisait chaud sous le toit. Il redescendit. Il se mit à chercher de manière plus systématique. Il écarta les vêtements dans les grands placards de Liljegren. Toujours rien. Wallander s’assit sur le bord du lit pour réfléchir. Il était impensable que Liljegren ait tout eu dans sa tête. Il devait y avoir un carnet d’adresses quelque part. Mais il n’y en avait pas. Que manquait-il encore ? Il revint en arrière et se reposa la question fondamentale : qui était Åke Liljegren ? Celui qu’on appelait l’expert-comptable national ? Un homme qui voyageait. Mais il n’y avait pas de valises dans la villa. Pas même une mallette. Wallander se leva et descendit voir Sjösten.
— Liljegren devait avoir une autre maison, dit Wallander. Au moins un bureau.
— Il avait des maisons partout dans le monde, répondit Sjösten distraitement.
— Je veux dire à Helsingborg. Ici, c’est trop vide pour être normal.
— Je ne crois pas qu’il avait une autre maison, dit Sjösten. On l’aurait su.
Wallander hocha la tête sans rien ajouter. Il était sûr de lui. Il poursuivit son exploration. Avec obstination. Il descendit dans la cave. Il repéra un banc de gymnastique et quelques haltères, ainsi qu’un placard. Des survêtements et des cirés y étaient suspendus. Wallander les regarda pensivement. Puis il retourna voir Sjösten.
— Liljegren avait-il un bateau ?
— Certainement. Mais pas ici. Je l’aurais su.
Wallander hocha la tête en silence. Il allait sortir à nouveau quand il eut une idée.
— Il était peut-être sous le nom d’un autre ?
— Quoi ?
— Le bateau. Il était peut-être enregistré sous le nom d’un autre. Sous le nom de Hans Logård, par exemple.
Sjösten comprit que Wallander était sûr de ce qu’il avançait.
— Qu’est-ce qui te fait dire que Liljegren avait un bateau ?
— Il y a à la cave des vêtements pour bateau, il me semble,
Sjösten suivit Wallander dans la cave.
— Tu as peut-être raison.
— Quoi qu’il en soit, ça peut valoir le coup de chercher. Cette maison est trop vide, ce n’est pas normal.
Ils sortirent de la cave. Sjösten s’assit pour téléphoner. Wallander ouvrit la porte-fenêtre et sortit au soleil. Il pensa à nouveau à Baiba. Aussitôt il sentit son estomac se nouer. Pourquoi ne l’appelait-il pas ? S’imaginait-il encore qu’il lui serait possible d’aller l’attendre à Kastrup samedi après-midi ? Dans moins de quarante-huit heures ? Il hésitait à demander à Martinsson de mentir pour son compte. Il ne pouvait plus reculer. Il était trop tard. En proie à un profond mépris envers lui-même, il rentra à l’ombre dans la villa. Sjösten parlait au téléphone. Wallander se demanda quand le tueur allait frapper à nouveau. Sjösten raccrocha et passa aussitôt un nouveau coup de fil. Wallander alla boire de l’eau dans la cuisine. Il évita de regarder le four. Quand il revint, Sjösten raccrochait d’un geste énergique.
— Tu avais raison. Il y a un voilier enregistré sous le nom de Logård dans le port de plaisance. Dans mon propre yacht-club.
— On y va, dit Wallander, sentant la tension croître.
Ils furent accueillis au port par un gardien qui leur montra le bateau de Logård. C’était un bateau bien entretenu. Une coque en plastique avec un pont en teck.
— Un Komfortina, dit Sjösten. Un beau bateau. Qui marche bien à la voile.
Il sauta lestement à bord et constata que le roof était fermé.
— Tu dois connaître Hans Logård ? demanda Wallander à l’homme qui se tenait à côté de lui sur le ponton.
Il avait le visage buriné et portait un sweat-shirt publicitaire pour une marque norvégienne de quenelles de poisson.
— Il n’est pas très bavard. Mais on se dit bonjour quand il vient par ici.
— Quand est-il venu pour la dernière fois ?
L’homme réfléchit.
— La semaine dernière. Mais en pleine saison, on se trompe facilement.
Sjösten était arrivé à ouvrir le roof. De l’intérieur, il put ouvrir les deux battants. Wallander monta gauchement à bord. Pour lui, c’était comme de marcher sur une patinoire bien glissante. Il descendit dans le cockpit puis dans le carré. Prévoyant, Sjösten avait pris une lampe de poche. Ils explorèrent rapidement le carré sans rien trouver.
— Je ne comprends pas, dit Wallander quand ils furent redescendus sur le ponton. Il doit bien avoir géré ses affaires de quelque part.
— Nous recherchons ses numéros de téléphone portable, dit Sjösten. Ça donnera peut-être des résultats.
Ils remontèrent vers la rive. L’homme au sweat-shirt publicitaire les suivit.
— Vous voulez sans doute voir son autre bateau aussi ? dit-il quand ils furent descendus du grand ponton.
Wallander et Sjösten réagirent en même temps.
— Hans Logård a un autre bateau ?
L’homme montra du doigt le ponton le plus éloigné.
— Le bateau blanc tout au bout. Un Storö. Le Rosmarin.
— Bien sûr que nous voulons le voir, dit Wallander.
C’était un bateau à moteur puissant, spacieux et effilé à la fois.
— Un bateau comme ça, ça coûte cher. Très très cher.
Ils montèrent à bord. La porte de la cabine était fermée.
L’homme sur le ponton les regardait.
— Il sait que je suis de la police, dit Sjösten.
— Ne perdons pas de temps, dit Wallander. Ouvre. Mais sans trop abîmer.
Sjösten parvint à ouvrir la porte sans casser plus d’une latte. Ils descendirent dans le carré. Aussitôt, Wallander vit qu’ils étaient au bon endroit. Sur un des côtés se trouvait une étagère remplie de dossiers et de chemises en plastique.
— Le plus urgent, c’est de trouver l’adresse de Hans Logård, dit Wallander. Nous examinerons le reste plus tard.
Ils mirent dix minutes à découvrir une carte de membre d’un club de golf près d’Ängleholm, avec le nom et l’adresse de Hans Logård.
— Il habite à Bjuv, dit Sjösten. Ce n’est pas loin d’ici.
Ils allaient partir quand Wallander, poussé par son instinct, ouvrit un placard. À son plus grand étonnement, il découvrit des vêtements de femme.
— Ils ont peut-être fait des fêtes ici aussi, dit Sjösten.
— Peut-être, dit Wallander pensivement. Mais je ne crois pas que ce soit ça.
Ils sortirent du bateau et redescendirent sur le ponton.
— Appelle-moi impérativement si Hans Logård débarque, dit Sjösten au gardien.
Il lui donna une carte avec ses numéros de téléphone.
— Je suppose que je dois être discret, dit l’homme avec excitation.
Sjösten sourit.
— Absolument. Fais comme si tout était normal. Puis appelle-moi. À n’importe quelle heure du jour ou de la nuit.
— Il n’y a personne ici la nuit.
— Alors espérons qu’il va débarquer de jour.
— Est-ce qu’on peut demander ce qu’il a fait ?
— On peut toujours demander, dit Sjösten. Mais on n’aura pas de réponse.
Ils quittèrent le port de plaisance. Il était trois heures de l’après-midi.
— On demande des renforts ? demanda Sjösten.
— Pas encore, répondit Wallander. Il faut d’abord trouver sa maison et vérifier s’il est là.
Ils quittèrent Helsingborg en direction de Bjuv. C’était une région de Scanie que Wallander ne connaissait pas. Il faisait très lourd. Il y aurait sans doute de la pluie et de l’orage dans la soirée.
— Quand est-ce qu’il a plu pour la dernière fois ? demanda-t-il.
— La nuit de la Saint-Jean, répondit Sjösten après un temps de réflexion. Et pas grand-chose.
Ils venaient juste d’arriver à Bjuv quand le téléphone portable de Sjösten sonna. Il ralentit pour répondre.
— C’est pour toi, dit-il en tendant le combiné à Wallander.
C’était Ann-Britt Höglund qui appelait d’Ystad. Elle alla droit aux faits.
— Louise Fredman s’est enfuie de l’hôpital.
Il fallut un instant à Wallander pour comprendre.
— Tu peux me le dire encore une fois ?
— Louise Fredman s’est enfuie de l’hôpital.
— Quand ?
— Il y a une bonne heure.
— Comment l’as-tu appris ?
— Quelqu’un a appelé Per Åkeson. Qui m’a prévenue à son tour.
Wallander réfléchit.
— Comment ça s’est passé ?
— Quelqu’un est venu la chercher.
— Qui ?
— Je n’en sais rien. Personne n’a rien vu. Elle a disparu d’un seul coup.
— Bordel de merde !
Sjösten ralentit quand il comprit qu’il venait de se passer quelque chose de grave.
— Je te rappelle dans quelques instants. Essaie pendant ce temps de savoir ce qui s’est passé. Et surtout qui est venu la chercher.
Wallander raccrocha.
— Louise Fredman s’est enfuie de l’hôpital, dit-il à Sjösten.
— Pourquoi ?
Wallander réfléchit un instant.
— Je n’en sais rien. Mais ça a un rapport avec notre tueur. J’en suis sûr.
— On fait demi-tour ?
— Non. On continue. C’est plus important que jamais d’arriver à mettre la main sur Hans Logård.
Ils entrèrent dans le village et s’arrêtèrent. Sjösten descendit sa vitre pour demander où se trouvait la rue où, habitait Hans Logård.
Ils demandèrent à trois personnes et reçurent la même réponse.
Personne n’avait jamais entendu parler de cette rue.